Passer du NON au projet
Quelle signification pour les femmes ?
Le 29 mai 2005, le peuple a refusé que sonne le glas des institutions de la France. Après ce NON retentissant à la soumission face au libéralisme, il reste à élaborer le projet républicain dont la France a besoin. De ce projet, les femmes, très actives durant la campagne, ne doivent pas être absentes ; pour des raisons de justice bien sûr mais aussi parce que leurs aspirations à une plus grande reconnaissance doit, comme cela a toujours été le cas par le passé, conduire au progrès social.
A partir de quelques thèmes, nous allons tâcher de démontrer que les revendications féministes s’inscrivent parfaitement dans le projet républicain mais aussi qu’abandonnées aux mains des libéraux ces aspirations peuvent conduire à une régression sociale pour tous, hommes et femmes.
Les lignes qui suivent traiteront :
- de la percée des femmes dans le monde du travail, nous examinerons comment les libéraux accaparent cette conquête pour leur seul bénéfice ;
- de la scolarité des filles (et donc des garçons) très orientée dans le secteur social, il revient aux politiques d’engager des actions pour que la mixité scolaire se prolonge dans les choix des uns et des autres ;
- de la santé des femmes, secteur qui s’inscrit dans le cadre de la santé publique en général mais qui requiert des dispositions spécifiques, en matière de maternité notamment ;
- des droits spécifiques des femmes qui doivent rester une préoccupation permanente du législateur.
1. La percée des femmes dans le monde du travail et la persistance des inégalités
Sur ce thème, ainsi que sur le point numéro 2, on se reportera au texte « La situation de l’emploi des femmes » (janvier 2005) présent sur le site MRC 92 (http://mrc92.free.fr/) page « femme et citoyenneté ».
Ce texte décrit les origines et les principales causes des inégalités dont sont victimes les femmes dans le monde du travail (inégalités salariales, faiblesse de la promotion dans les carrières féminines). Il y est dit que « pour devenir une réalité, l’égalité professionnelle, devrait être une priorité politique posée de manière transversale dans toutes les politiques publiques : formation, emploi, politique familiale, moyens accordés aux inspecteurs du travail… » On y remarque également que « les femmes ont investi, avec succès des professions prestigieuses (médecins, avocats…) sans que l’on constate une dévalorisation de ces secteurs d’activité. La situation professionnelle de l’ensemble de la population féminine s’en trouve modifiée : les femmes constituant la majeure partie des travailleurs pauvres, l’écart se creuse entre les femmes elles-mêmes. »
Au travers de l’actualité récente - la décision de Dominique de Villepin de gouverner par ordonnances en matière d’emploi et l’élection de Laurence Parisot à la tête du Medef - nous allons voir comment la politique de l’après referendum, tournant le dos aux préoccupations sociales exprimées le 29 mai, aggrave la situation.
· Légiférer par ordonnances en matière d’emploi
Nous ne ferons pas ici le procès de la méthode, utilisée à un moment ou l'autre par tous les gouvernements de gauche ou de droite, mais bien de ce que représente le « contrat nouvelle embauche » proposé par le Premier ministre lors de son discours de politique générale.
Ce contrat prévoit une période d’essai de deux ans « adapté au rythme de développement des très petites entreprises » nous dit Monsieur de Villepin. En réalité, il s’agit d’allonger à une durée record la période pendant laquelle le salarié devra travailler en dehors de la protection qu’apporte le code du travail puisque durant la période d’essai, le contrat peut être rompu sans préavis, n’a pas à être motivé et ne peut pas être désigné comme un licenciement. Contrairement à ce qu’affirme le Premier ministre « un complément d’allocations chômage […], un accompagnement personnalisé et la mobilisation de moyens nouveaux de reclassement en cas de rupture du contrat » n’apportent pas de meilleures garanties aux salariés. Il s’agit, non plus de vérifier comme c’était le cas jusque là, si une personne convient au poste qu’elle occupe, mais bien d’accroître la précarité des salariés les plus fragilisés, ceux qui travaillent dans les petites entreprises. N’en doutons pas, cette détérioration sera rapidement généralisée à l’ensemble des salariés.
Qui seront les prochaines victimes ? Les jeunes : « Je demande donc à l’ANPE de recevoir individuellement les 57 000 jeunes au chômage depuis plus d’un an avant la fin du mois de septembre pour leur proposer une solution adaptée : un emploi dans une entreprise, un contrat d’apprentissage, ou encore un contrat non marchand. » a dit le Premier ministre.
Si l’on pousse un peu plus loin l’analyse, on peut penser que le contrat nouvelle embauche sera facilement généralisable dans les secteurs à faible qualification, là où le travail ne demande pas une connaissance approfondie de l’entreprise et où il est facile de remplacer un salarié (un salarié avec droits par un salarié sans droits !). Or, 78 % des emplois non qualifiés sont occupés par des femmes qui de surcroît représentent 82 % des quatre millions de travailleurs à temps partiel, temps partiel subi dans la majorité des cas.
Ce n’est pas nouveau, mais il est bon de le rappeler, en période d’austérité accrue et de régression des droits sociaux, les femmes sont aux premières loges ! Autre remarque, « les cent jours » de Dominique de Villepin ne vont pas contribuer à réduire l’écart qui se creuse entre femmes qualifiées et celles qui ne le sont pas !
· L’élection de Laurence Parisot à la tête du Medef
Que la presse branchée fasse ses choux gras de l’élection d’une femme à la tête du Medef, soit ! Il paraît que Laurence Parisot est une bosseuse, soit ! Espérons que d’ici quelques années, la condition féminine et les mentalités dans ce pays auront suffisamment progressé pour que ces réactions émotionnelles paraissent ridicules. Pour l’heure, rappelons que moins de 10 % des dirigeants d’entreprises et moins de 5 % des membres de conseil d’administration sont des femmes. Avant d’atteindre l’équilibre hommes / femmes, il reste fort à faire ! Mais le Medef innove, bravo !
Venons-en à l’essentiel : l’élection d’une femme à la tête du patronat français est-elle susceptible d’apporter une quelconque innovation en matière de progression de la condition féminine dans le monde du travail ?
Tout d’abord, constatons que Laurence Parisot doit son élection à des PDG ou ex PDG de poids comme François Pinault, Michel Pébereau ou Claude Bébéar sans oublier bien entendu le baron Seillière, autant de personnalités connues pour leur fermeté en matière sociale ; en l’occurrence, rien que de la très classique cooptation… De plus, les premières déclarations de Laurence Parisot laissent penser qu’elle sera la digne héritière de son prédécesseur. Sur le nouvelObs.com elle propose de « moderniser » le droit du travail afin de concilier « la prise de risque » pour les entreprises avec « la protection des individus ». Elle a aussi dit à plusieurs reprises vouloir « faire aimer l'économie de marché, car elle seule permet une redistribution des richesses ». Prôner une « politique économique favorable aux entreprises, ce n'est pas être anti-social, c'est la condition même du social », a-t-elle souligné.
Traduction : le droit du travail doit voler en éclats pour permettre l’épanouissement total de la libre concurrence… Bref, rien qui permette une avancée significative du sort de la majorité des femmes dans le monde du travail, qu’elles soient ou non qualifiées. Ceci alors que, comme le fait remarquer la Sénatrice Esther Sittler, membre de la délégation aux droits des femmes, « pour la première fois depuis les années quatre-vingt-dix, on observe un ralentissement du rythme de rattrapage salarial. » Sur l’élection de Laurence Parisot, laissons le mot de la fin à Pierre Marcelle (Libération 07/07/05) : « Dans l'expression « la nana du Medef », le terme qui compte, ce n'est pas nana, mais Medef. »
· Quelles pourraient être nos propositions en matière d’égalité salariale ?
Le texte de janvier 2005, explique pourquoi la prochaine loi sur l’égalité salariale (qui vient d’être adoptée par le Sénat) n’a que peu de chances d’améliorer significativement la situation (loi basée sur la confiance, sans aucune mesure coercitive et laissant aux partenaires sociaux le soin de tordre le cou aux inégalités).
Avant d’ébaucher quelques pistes susceptibles de résoudre le problème, rappelons que jusque là, les progrès de la condition féminine (maîtrise de la fécondité, autonomie financière…) se sont avérés être des progrès pour la société tout entière, c’est ce mouvement qu’il faut perpétuer. Or le danger aujourd’hui est que les libéraux ne se saisissent des objectifs progressistes de l’émancipation des femmes pour peser sur les droits sociaux et la politique salariale. Pour ceux qui en douteraient, l’interdiction du travail de nuit pour les femmes a été levée en 2001 par la loi Génisson au nom de la non-discrimination entre les hommes et les femmes, voici ce que nous en dit Rachel Silvera : « Le résultat concret de cette levée d’interdiction, est que 15 000 femmes supplémentaires travaillent désormais de nuit dans l’industrie sans que des accords innovants en limitent véritablement l’usage [Lallement, 2003].[1] »
- Pour ne pas tirer les salaires vers le bas, la politique d’égalité salariale doit s’inscrire dans une politique d’expansion économique et non, comme c’est le cas aujourd’hui, dans un cadre de mise en concurrence des salariés entre eux ;
- Même dans un contexte de croissance économique, l’égalité salariale ne se fera pas sur la bonne volonté, elle suppose des mesures coercitives et du personnel chargé de leur application : inspecteurs du travail (dont le nombre devrait croître), objectifs et moyens nouveaux fixés au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle ;
- Dans la prise en compte de la parentalité (qui s’adresse tant au père qu’à la mère), la maternité doit occuper une place à part. Pourquoi ne pas inscrire dans la loi que le congé de maternité est considéré comme un temps de travail effectif à l’issue duquel la salariée recevra une formation de retour à l’entreprise ?
- La prise en compte de la parentalité suppose des services publics performants (crèches, écoles, transports, services à domicile…) ;
- Il faut mettre un terme aux scandaleuses conditions de vie des salariés à temps partiel (le plus souvent des femmes) qui travaillent en horaires éclatés. Remarquons que c’est à la demande de l’entreprise que ces personnes consacrent un temps démesuré, qui désorganise la vie familiale, pour quelques heures de travail rémunéré. Pourtant ce temps est sans valeur aux yeux des employeurs ! Les heures supplémentaires des cadres apportent au moins une considération sociale !
2. La scolarité des femmes
Une remarque d’ordre général : l’école, qui devrait être à la pointe de l’innovation reste encore par bien des aspects un lieu de conservatisme ; même si cela concerne davantage les garçons que les filles, les enfants des cadres supérieurs sont sur-représentés dans les filières d’excellence comme les grandes écoles ou les écoles d’ingénieurs.
Aujourd’hui, on compte à peine 25 % de femmes dans les filières scientifiques, ce qui signifie que pour de longues années encore l’industrie devra se passer de main d’œuvre féminine or c’est là que se situent les meilleures perspectives d’emploi et donc de rémunérations. Le problème n’est pas seulement celui de l’égalité salariale : on constate que, depuis les années 70, le taux d’activité des femmes croît alors que celui des hommes diminue. Pour former la main d’œuvre de demain, il faut agir dans deux directions : d’une part auprès des jeunes et de leurs familles, d’autre part auprès des partenaires sociaux.
- Nous devons nous interroger sur la répartition des formations que nous offrons à nos jeunes, nous devons les alerter sur les perspectives d’emploi au sortir des études, les convaincre de ne pas céder à des stéréotypes dépassés. Les CIO et CIDJ devraient recevoir des directives pour inciter les jeunes à faire vivre la mixité scolaire.
- Rien, sinon un frein idéologique, ne justifie aujourd’hui des CAPs ou des BEPs strictement sexués comme on en trouve en mécanique ou dans les carrières sanitaires et sociales. Mais trop souvent, les filles ou, les garçons, anticipent les conséquences de choix d’études dans des secteurs sans débouchés pour elles ou, pour eux. Pourtant l’usage de la force physique étant de moins en moins requis dans l’exercice d’une activité professionnelle, il est anormal que certains métiers demeurent inaccessibles à l’un des deux sexes. Les partenaires sociaux doivent être sensibilisés à ce problème car la non-mixité des métiers entraîne la non-mixité des études.
3. La santé des femmes
Incontestablement, la maîtrise de la fécondité, grâce à la contraception moderne et à la libéralisation du droit à l’avortement, a représenté une avancé majeure pour l’émancipation des femmes et aussi pour la préservation de leur état de santé. Pourtant « Malgré une large diffusion [de l’information], depuis plus de vingt ans, le nombre annuel d’avortements reste stable, se situant autour de 20 000 par an, sans que cette stabilité s’accompagne de sa banalisation [Bajos, Ferrand et al., 2002].[2] » Le nombre des grossesses non désirées est en France nettement supérieur à celui des autres pays industrialisés et, toujours selon Nathalie Bajos et Michèle Ferrand, « en 2000, 67 % des grossesses non prévues s’étaient produites alors que la femme utilisait une contraception. » Pourquoi une telle situation ?
Dans un texte intitulé « La loi Veil – Du droit à l’avortement à la liberté de donner la vie » nous rappelions qu’en : « France, les étudiants en médecine reçoivent en tout deux heures d’information sur la contraception durant leurs études ! Résultat, les préjugés sont légion : nombre de médecins, et parmi eux des gynécologues, refusent l’utilisation du DIU (dispositif intra-utérin) chez les femmes sans enfants, sont réticents à la pose d’implants et demeurent prisonniers des lobbies pharmaceutiques. Ajoutons au tableau le non-remboursement des pilules de troisième génération. »
En résumé, formation insuffisante des médecins et inégal accès à la contraception, de plus Nathalie Bajos et Michèle Ferrand remarquent que « L’inadéquation éventuelle de la contraception prescrite par rapport au contexte dans lequel se trouve la femme est rarement envisagée : c’est à la femme de se conformer à la prescription. Le corps médical en donnant priorité à l’efficacité théorique, oublie souvent que la contraception s’utilise dans un cadre relationnel particulier, où il est nécessaire de prendre en compte le partenaire. »
La contraception est une démarche préventive qui s’inscrit dans la durée (une trentaine d’années), elle doit donc tenir compte des diverses contraintes aux différents moments de la vie d’une femme, ces paramètres doivent être examinés lors de la prescription. Evidement, des médecins prisonniers des lobbies pharmaceutiques ne peuvent pas s’inscrire dans une telle démarche. Outre la nécessaire prise en compte de la contraception dans les études médicales, il est indispensable de garantir aux étudiants, puis aux professionnels tout au long de leur activité, un enseignement véritablement scientifique c’est à dire indépendant des groupes d’intérêts privés. C’est ce que réclame le collectif FORMINDEP, « Pour une formation médicale indépendante au service des seuls professionnels de santé et des patients. »[3]
4. Les droits spécifiques des femmes
· Le droit de choisir de donner ou non la vie
L’article II‑62 du feu traité constitutionnel a soulevé beaucoup d’émoi chez les tenants du NON qui craignaient une remise en cause le droit à l’avortement. Que dit-il ?
« 1. Toute personne a droit à la vie.
2. Nul ne peut être condamné à mort ni exécuté. »
L’histoire comme l’actualité leur donnent raison.
En novembre 1974 lors du débat sur la loi Veil, le député Jean Foyer fermement opposé à la libéralisation de l’avortement, déposa un amendement qui s’il avait été adopté aurait rendu la loi inconstitutionnelle. Cet amendement invoquait l’article 2 (repris dans le traité constitutionnel) de la Convention européenne des droits de l’homme : « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. » Mis aux voix, cet amendement fut repoussé par 286 voix contre 178. Pour apprécier le résultat de ce vote, il faut se rappeler le contexte de l’époque où les manifestations de rue étaient légion ; où des femmes, célèbres ou anonymes, annonçaient publiquement avoir transgressé la loi ; où des médecins déclaraient aider les femmes… Plus près de nous, en juin dernier, mais dans une situation moins favorable, le referendum d'initiative populaire italien, destiné à modifier les points les plus restrictifs de la loi sur la procréation médicalement assistée, a essuyé les attaques de l’église catholique laquelle, en mêlant son choix à celui des abstentionnistes habituels, a fait capoter le vote : avec seulement 25,9 % de votants le résultat n’a pas pu être avalisé. Le droit à l’avortement des Italiennes sort fragilisé de ce scrutin puisque l'église, pape en tête, s'était exprimée en faveur de « l'intangibilité de la vie humaine dès la conception » accordant ainsi à l’embryon le statut de personne. Statut que tous les opposants à l’avortement réclament dans l’espoir de voir l’avortement assimilé à un crime.
Faut-il pour autant effacer des textes fondamentaux le droit à la vie ou l’interdiction de la peine de mort ? Non évidemment ! Nous devons même saluer leur affirmation. Mais aucun texte ne peut être qualifié de progressiste s’il n’affirme pas clairement les droits spécifiques des femmes. Autrement dit, à côté du droit à la vie, à côté de l’interdiction de la peine de mort doit être clairement énoncé : « Toute femme a le droit de choisir de donner ou non la vie. » Ce droit suppose évidemment l’accès à la contraception et à l’avortement.
· Le droit de vivre sans violence
Lorsque les sociologues s’intéressent aux violences faites aux femmes, ils désignent un phénomène social et répété, perpétré par des hommes, visant à maintenir la subordination des femmes envers les hommes. Il s’agit d’analyser le comportement de celui qui tente de soumettre les femmes par des actes répétés humiliants et / ou violents. Cette étude n’occulte en rien les violences que les femmes sont capables d’exercer, il s’agit d’un autre sujet.
La lutte contre les violences faites aux femmes est essentielle pour l’élimination des inégalités entre les hommes et les femmes, c’est la raison pour laquelle il convient d’identifier les lieux où s’opèrent de tels actes et quels en sont les protagonistes.
L’enquête ENVEFF (Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France), commanditée par le Service des Droits des femmes et le Secrétariat d'État aux Droits des femmes, a été réalisée par téléphone de mars à juillet 2000 ; coordonnée par l’Institut démographique de l’université Paris‑I, elle a été réalisée par une équipe de recherche interinstitutionnelle sous la direction de Maryse Jaspard. Ce travail a permis de décrire quelques traits majeurs des situations de violences : « un bon capital scolaire ne garantit pas la sécurité dans le couple : les femmes cadres ont dénoncé autant de cumuls de violences que les ouvrières (environ 3 %). Toutefois une grande instabilité professionnelle et l’exclusion, temporaire ou définitive, du monde du travail favorisent l’émergence de climats conjugaux délétères ; les situations de violences sont doublées lorsque la femme est au chômage et triplées lorsque c’est l’homme. Les inégalités de capitaux sociaux, scolaires ou professionnels en défaveur des hommes accentuent le risque de violence au sein des couples…[4] »
L’enquête a également permis de mettre à jour les lieux où s’exerce la violence :
- Le foyer : Maryse Jaspard relève que « la preuve est faite de la capacité de nombre de femmes à se séparer d’un conjoint violent. »
- Le lieu de travail : lorsque les femmes sont en sous-effectif, elles sont plus exposées. Cela qui accrédite la thèse, développée ci-dessus, d’un nécessaire équilibrages entre hommes et femmes dans tous les secteurs d’activité.
- Les espaces publics : pour lesquels Maryse Jaspard relève de manière tout à fait intéressante : « Les espaces publics, particulièrement dans les grandes agglomérations apparaissent ainsi comme un espace inégalitaire et sexiste. S’il est indéniable que cette forme de harcèlement entrave la libre circulation des femmes dans les espaces publics, il ne conduit pas inéluctablement à des agressions sexuelles caractérisées ; à l’aune d’une année, les violences portant plus directement atteinte au corps sont peu fréquentes. Mais les peurs irrationnelles font le lit des politiques sécuritaires et l’image de dangerosité qui stigmatise des quartiers et des groupes sociaux a la vie dure. »
Cette dernière remarque n’est pas sans rappeler les conclusions de Laurent Mucchielli dans un essai intitulé « Le scandale des « tournantes » »[5]. Analysant des faits-divers aussi dramatiques que fortement médiatisés (viols collectifs, femme brûlée…), l’auteur démontre que ces actes ne sont ni plus ni moins nombreux que par le passé. Il s’insurge contre « une équation au simplisme effrayant […] islam des maghrébins = non-intégration + violence + antisémitisme + oppression des femmes » et s’inscrit en faux contre l’idée que « la question des jeunes issus de l’immigration » serait une question « ethnique ». Poussant plus avant sa réflexion il liste « … tous les aspects sur lesquels la prévention générale peut par définition agir : 1) par des politiques scolaires de lutte contre l’échec scolaire et la dévalorisation des filières techniques, 2) par des politiques économiques permettant de créer de véritables emplois (au double sens d’un statut et d’un revenu) dans les quartiers populaires, 3) par les politiques de logement luttant contre le surpeuplement et facilitant l’accès à un logement pour les jeunes adultes, 4) par les politiques de lutte contre les discriminations sous toutes leurs formes (de l’embauche à l’entrée dans les boîtes de nuit en passant par l’accès au logement et le fonctionnement de l’école, des rapports sociaux les plus formels aux plus informels). »
Une politique tournée vers l’accès à la citoyenneté en quelque sorte ! Mais Laurent Mucchielli poursuit par un constat affligeant : « Le problème est ici que, depuis une quinzaine d’années, les gouvernements de droite comme de gauche semblent avoir abandonné toute ambition véritable sur ces quatre politiques qui sont surtout l’objet de discours, d’effets d’annonce et de mise en place d’outils très visibles, mais aussi peu coûteux pour l’Etat que faiblement efficaces (par exemple le numéro vert d’appel contre le racisme). »
Pourquoi citer longuement ces chercheurs ? Tout simplement parce que sur un sujet aussi délicat que celui de la violence, il faut se garder de toute interprétation facile et étudier les travaux en cours pour tracer des voies… Les politiques sociales ne règleront pas tous les cas de violence envers les femmes, ce qui représenterait un objectif inaccessible. A coup sûr ces politiques représentent une partie de la solution.
5. En guise de conclusion (provisoire)
L’objet de ces lignes était de démontrer qu’il y a adéquation entre un projet républicain et les aspirations des femmes à l’exercice d’une citoyenneté pleine et entière. Les sujets abordés ne sont bien évidemment pas exhaustifs, ils méritent tous que la réflexion se poursuive.
Face aux coups de boutoirs du libéralisme contre les droits et les progrès sociaux, les femmes doivent faire entendre leur voix sous peine perdre leurs fragiles conquêtes, sous peine également de demeurer un objet de propagande pour les pouvoirs en place : Jacques Chirac n’a aucunement l’intention d’améliorer les rémunérations féminines, il « communique » sur le sujet en proposant une énième loi sur l’égalité professionnelle.
L’Europe non plus, ne se soucie pas réellement du sort des femmes : malgré une profusion de textes consacrés à la question du genre, la convention Giscard a élaboré un traité dit constitutionnel qui reconnaissait « l’héritage culturel et religieux de l’Europe », qui entretenait « un dialogue ouvert et transparent avec les églises » mais qui ne reconnaissait pas les droits des femmes !
L’objet de ces lignes est également d’alerter, les droits des femmes doivent apparaître comme une préoccupation des républicains car les femmes sont encore bien trop peu nombreuses dans les partis politiques et les syndicats, ceci indépendamment de leur participation à la vie de la cité. A l’issue des élections municipales de 2001 qui virent la première application de la parité de liste (par tranches de six), les Conseils municipaux se sont fortement féminisés mais « … 75 % des conseillères municipales et 56 % des conseillers municipaux n’appartiennent pas à un parti politique, toutes tailles de communes confondues.[6] » Des chiffres qui doivent nous interroger…
Aimée Gourdol
Secrétaire nationale aux droits des femmes
[1] Rachel Silvera « Temps de travail et genre : une relation paradoxale » in Femmes, genre et sociétés – L’état des savoirs – Editions La Découverte
[2] Nathalie Bajos, Michèle Ferrand « Contraception et avortement » in Femmes, genre et sociétés – L’état des savoirs – Editions La Découverte
[3] Voir : http://martinwinckler.com/article.php3?id_article=196&var_recherche=FORMINDEP
[4] Maryse Jaspard « Les violences envers les femmes : une reconnaissance difficile » in Femmes, genre et sociétés – L’état des savoirs – Editions La Découverte
[5] Laurent Mucchielli « Le scandale des « tournantes » » - Dérives médiatique, contre-enquête sociologique – Editions La Découverte
[6] Marion Paoletti « Femmes et partis politiques » in Femmes, genre et sociétés – L’état des savoirs – Editions La Découverte