INTERVIEW DE JEAN-PIERRE CHEVÈNEMENT DANS LE PARISIEN, MARDI 25 NOVEMBRE

« Le voile, symbole d'un statut inférieur de la femme... »

 

 

mardi 25 novembre 2003

Jean-Pierre Chevènement

 

 

La laïcité est-elle en danger dans notre pays ?

La laïcité est une notion très moderne. Elle met l'accent sur ce que les hommes ont en commun, et non pas sur les différences. L'idée de l'égalité est évidemment une idée plus difficile que l'affirmation du fameux « droit à la différence ».

Vous l'avez toujours combattu...

Poussé jusqu'au bout, il aboutit aux ségrégations du communautarisme, à l'apartheid, voire demain aux affrontements civiques, interethniques ou interreligieux. D'où la modernité de la laïcité, dans un monde caractérisé par la montée des intégrismes et voué, si l'on n'y prend garde, au choc des civilisations.

Comment laïcité et religions doivent-elles cohabiter ?

La laïcité n'est pas tournée contre les religions. Au-delà du champ civique (commun à tous), la liberté de conscience peut s'exercer pleinement par le choix d'une religion ou bien d'une philosophie. La laïcité respecte les religions, et celles-ci peuvent d'autant mieux s'épanouir qu'elles ne sont pas compromises par la politique et la gestion des affaires temporelles. La laïcité, c'est le combat le plus moderne qui soit.

N'est-il pas déjà trop tard pour lutter contre le communautarisme ?

Il n'est jamais trop tard pour mener le bon combat. Pour ma part, je le mène depuis plus de vingt ans.

Faut-il une loi sur le voile ?

Le problème du voile ne doit pas être posé indépendamment d'un problème plus général : celui de la lutte républicaine pour les valeurs de liberté, de fraternité et d'égalité. J'ai créé, lorsque j'étais ministre de l'Intérieur, les commissions d'accès à la citoyenneté (Codac), dont la tâche principale est de favoriser l'accès à l'emploi des jeunes issus de l'immigration. Je suis à l'origine également du Conseil français du culte musulman (CFCM). Sur le voile, je suis au clair sur ce qu'il faut faire à partir du moment où ce n'est pas un ornement vestimentaire. Le voile est le symbole d'un statut inférieur de la femme, et peut être un signe de ralliement pour le communautarisme musulman, qui n'a pas plus droit de cité dans notre République que le communautarisme juif ou catholique. L'avis du Conseil d'Etat de 1989 sur le voile est ambigu. Il reporte sur les chefs d'établissement la responsabilité de fixer des règles. Une loi est donc nécessaire. Mais elle doit concerner tous les signes d'appartenance religieuse et de prosélytisme, et dans l'espace public seulement. Dans l'espace privé, la liberté doit être la règle. Par ailleurs, il faut procéder pédagogiquement, afin que cette loi ne soit pas comprise comme stigmatisante à l'égard d'une religion particulière. Nous sommes tous des citoyens français avant d'être les ressortissants d'une communauté particulière.

Nicolas Sarkozy a-t-il eu raison de débattre avec Tariq Ramadan ?

J'ai l'impression que, sur beaucoup de sujets, ils ne sont pas aussi éloignés que cela l'un de l'autre. Tariq Ramadan, par exemple, justifie très habilement, car c'est un homme intelligent, le port d'un signe distinctif de la religion musulmane dans les écoles, par des arguments empruntés à notre propre conception du monde (tolérance, respect des spécificités culturelles, etc.). Et il occulte volontairement ce que peut signifier la multiplication de jeunes filles voilées dans nos établissements scolaires. M. Sarkozy, sur ce sujet qui touche à l'existence de tendances communautaristes dans la société française, me parait manquer de fermeté : en refusant la loi, il se prive des moyens d'agir. Pour commencer, il oublie de rappeler que l'ensemble des sensibilités qui se retrouvent au sein du Conseil français du culte musulman (CFCM) ont signé une charte, le 28 janvier 2000, par laquelle toutes, y compris l'UOIF, proclament leur attachement aux principes fondamentaux de la République, et en particulier l'égalité de l'homme et de la femme. Il a, en outre, tendance à confondre l'instance cultuelle qu'est le CFCM avec une instance communautaire, qu'elle n'est pas. La création de cette instance a pour but de dire : l'islam est une religion à l'égal des autres. Elle ne consacre nullement l'existence d'une « communauté musulmane ». Je ne suis pas ennemi d'un dialogue avec M. Ramadan, mais il doit être mené sans concession. Et je me méfie un peu de M. Sarkozy.

 

Propos receuillis par Nathalie Segaunes Le Parisien , mardi 25 novembre 2003

Jean-Pierre Chevènement est ancien ministre et président d'honneur du MRC.