Libération du mercredi 12 novembre 2003

Tribune libre de la rubrique « Rebonds »

 

 

Ramadan antiféministe

 

La participation de l'idéologue musulman au FSE

contribue à légitimer l'islam politique.

 

Par :

 

Fatimah Lalem, membre du bureau du Mouvement français pour le planning familial (MFPF),

Chalah Chafiq-Beski, sociologue,

Maya Surduts, présidente du Cadac (Confédération des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception).

 

Ce texte résume un certain nombre de réflexions portant sur la participation de Tariq Ramadan au Forum social européen (FSE). Les interrogations qui vont suivre se réfèrent aux valeurs dont se réclame le FSE. En effet, le Forum social européen se veut être, notamment, un lieu d'échanges et de débats pour lutter contre les inégalités économiques et sociales. Nous supposons par conséquent que le combat pour les libertés et les droits des femmes fait partie des causes défendues par ce forum.

Or il nous semble que la présence de Tariq Ramadan, invité à intervenir en séance plénière, entre en contradiction avec ces valeurs.

La vision défendue par Tariq Ramadan repose essentiellement sur la promotion d'une identité communautaire fondée sur la religion. Pour lui, l'islam propose des moyens aux individus musulmans pour se construire «une personnalité de l'intérieur» leur permettant de «s'adapter à un environnement spécifique». Cette adaptation, selon lui, implique que la société française accepte certaines spécificités telles que le voile. Pour lui, le port du voile par la femme musulmane s'inscrit dans ce processus de construction d'une personnalité de l'intérieur pour fonder une identité sociale solide. Le voile étant «une manifestation de la soumission à Dieu» serait «l'élément d'une libération de la femme, dès lors qu'elle ne soumet pas son être à l'imagerie masculine, jamais totalement innocente». Ce voile rempart permettrait à la femme musulmane d'accéder à un statut de citoyenne «participant pleinement à la vie sociale» tout en préservant sa pudeur.

Dans cette vision, la citoyenneté des femmes est conditionnée par la gestion de leur sexualité dans le cadre défini par les normes religieuses. Au travers d'un langage moderniste Tariq Ramadan prône tout simplement la stratégie promulguée par différentes tendances islamistes. En effet, elles se rejoignent sur la nécessité du contrôle de la sexualité des femmes pour préserver l'ordre divin. Or cet ordre, traduit clairement par les règles et lois religieuses, inscrit les inégalités entre les deux sexes. Les islamistes dits «éclairés» justifient cette inégalité par l'éloge d'une harmonie des sexes reposant sur leur complémentarité. D'où la prééminence de la notion d'équité comme alternative à l'égalité hommes femmes, valeur critiquée comme étant le fruit de la «culture occidentale».

Ce discours instrumentalise les concepts de la lutte contre les injustices et les discriminations au profit de la diffusion de l'islam politique comme une alternative anti-impérialiste et anticolonialiste. Tenant compte de l'évolution irréversible de la condition des femmes par l'accès à l'éducation, au travail rémunéré et à l'espace public, il tente de la canaliser. Le voile se présente dans ce contexte comme le passage obligé à une citoyenneté communautariste. Il opère en même temps une nette distinction entre «la femme musulmane pudique» et les autres non voilées, qui seront d'emblée identifiées comme des femmes non pudiques et par extension non dignes de respect. Au mieux, elles seront désignées comme des brebis égarées, qui par mimétisme finiront par intégrer leur identité «authentique».

Il n'est pas très difficile de mesurer l'impact de cette logique dans la vie quotidienne de centaines de milliers de jeunes filles et femmes non voilées (majoritaires en France). Le développement de ce type de discours, favorisé par l'image positive d'idéologues comme Tariq Ramadan, ne fait que renforcer la pression directe et indirecte qui s'exerce sur elles. Elles se verront, de plus en plus, assignées à une sorte de résidence communautaire. Où est la place, dans ce type de citoyenneté, pour les droits de la personne humaine ?

De la même manière, Tariq Ramadan essaye de convaincre de la force de l'islam pour ramener dans le droit chemin les jeunes «musulmans» souffrant d'une «crise identitaire». L'identité culturelle, réduite à l'identité cultuelle, serait le rempart contre les phénomènes de violence et de délinquance. Ces faits sociaux qui témoignent de l'absence d'une politique forte de lutte contre les inégalités, contre les discriminations et contre le racisme doivent être combattus par l'éducation et la prévention. Alors que Tariq Ramadan les renvoie, en dernière analyse, à l'absence d'une foi et de lois érigeant le croyant dans le chemin licite. Il propose donc un retour vers la religion pour remédier à des maux sociaux et politiques.

Cette pseudo-solution semble exercer un réel attrait sur certaines instances politiques à la recherche de remèdes face aux déficits de l'intégration. Il en va apparemment de même pour certains militants du mouvement altermondialiste. Tariq Ramadan se positionne donc, aux yeux de beaucoup, comme le Médiateur par excellence pour la «communauté musulmane».

Ne convient-il pas de rappeler qu'en France une communauté musulmane portant un projet sociopolitique commun n'existe pas ? Les idéologues comme Tariq Ramadan tentent en fait de la créer dans l'opinion publique pour développer ensuite les stratégies de sa mise en oeuvre. Nous sommes donc bel et bien face à une configuration de l'islam politique qui se drape en défenseur de la dignité des personnes discriminées pour avancer ses revendications.

Par ce détour, toute position critique à l'égard de ce type de projet se voit accusée d'islamophobie. A ce titre, les féministes qui revendiquent des droits universels pour les femmes seront repérées également comme islamophobes. Pire, nous assistons à un amalgame savamment dosé entre les positionnements racistes et discriminatoires et la défense des droits fondamentaux de la personne humaine, sacrifiés sur l'autel des valeurs sacrées. On aboutit par cette confusion à un jeu de culpabilisation victimisation faisant obstacle au débat démocratique.

Ces réflexions nous amènent à interroger les altermondialistes sur l'enjeu que représente la participation de Tariq Ramadan au FSE. De manière consciente ou non, cette initiative ne contribue-t-elle pas à légitimer l'islam politique ? N'ignore-t-elle pas les valeurs de liberté et d'égalité des citoyens et des citoyennes, au profit de la mobilisation de forces se revendiquant comme les défenseurs des discriminés ? N'ouvre-t-elle pas la voie à une hiérarchisation des discriminations passant certaines sous silence, comme par exemple celles relevant du sexisme ?

 

 

Fatimah Lalem

Chalah Chafiq-Beski

Maya Surduts